Et le jour sera pour moi comme la nuit
Maurice Nadeau-Lettres Nouvelles
Extrait :
« Je repousse le moment d’entrouvrir mes paupières. Je laisse juste filtrer la lumière, seul élément du monde qui me parvienne encore, le pâle liseré qui borde mes cils. J’attends. Puis comme un papier dont on déplie la blancheur pour trouver un message, je déploie mes paupières : la page est blanche.
Alors je referme mes yeux et me prépare à une nouvelle journée.
Une journée où il me faut réapprendre chaque geste comme une première fois empêchée. »
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« Je ne fréquenterai plus mon image pendant de longues semaines. On vit très bien sans son reflet.
Ce qui manque cruellement, c’est le visage de ceux qu’on aime.
On dit parfois qu’on a senti une présence. La présence fera donc office d’image ; la mémoire sera son interprète. Je reconstitue vos traits invisibles, et je vous vois, les yeux fermés. Quant à la mobilité de vos expressions, je la suis, je la devine, aux inflexions de vos voix.
Partition de l’âme, la voix dit tout. Même la plus contrôlée, parle de votre chagrin à me voir diminuée, trahit par sa fausse gaîté votre souci de masquer votre angoisse, révèle en affectant de la minimiser, l’étendue du désastre. »